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Date : 28-07-2025 09:55:40
Allez, pour le fun… Peut-être le plus beau poème du monde
Salut au monde !
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Oui, prends ma main Walt Whitman !
Vois-tu la miraculeuse chaîne de merveilles ? tous ces spectacles, tous ces
bruits ?
Toutes ces mailles interminablement tressées entre elles, agrafées l’une à
l’autre,
Chacune renvoyant a la prochaine, partageant avec toutes les autres l’univers !
Dis-moi ce qui s’épanouit en toi Walt Whitman ?
Dis-moi l’humidité des vagues et des terreaux en toi Walt Whitman !
Dis-moi les climats, les villes, les personnes qui sont présents !
Et les petits-enfants, qui sont-ils dis-moi, les uns jouent, les autres sont
assoupis ?
Les filles, dis-moi qui sont les filles, qui sont les femmes mariées ?
Et les groupes de vieillards marchant lentement bras autour du cou l’un de
l’autre, hein qui sont-ils ?
Tu connais ces rivières n’est-ce pas ? tu connais ces forêts et ces fruits ?
Tu connais le nom de ces montagnes qui montent si haut dans la brume, dis-
moi ?
Et ces millions de maisons dis-moi encore qui les habite ?
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S’épanouissent en moi les latitudes, s’allongent les longitudes,
A l’Est l’Asie, l’Afrique, l’Europe – pour l’Amérique sa place est toute
désignée à l’Ouest,
Pour enceindre le ballonnement ventru de la terre il y a l’équateur brûlant,
Quand aux extrémités de l’axe, bizarrement, ce sont Nord et Sud, qui tournent
le manège,
J’ai tout aussi à l’intérieur le jour le plus long, le soleil qui ne se couche plus
pendant des mois, ses révolutions décrivant des cercles à l’oblique,
Et puis tendu par l’effort en moi, à heure fixe, le soleil de minuit qui monte
au-dessus de l’horizon avant de replonger tout aussitôt,
Lez zones, les océans, les cataractes, les forêts, les volcans, les espèces sont en
moi,
Malaisie, Polynésie, avec aussi les vastes îles Antilles.
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Dis-moi Walt Whitman ce que tu entends ?
J’entends le journalier qui chante et l’épouse du fermier qui chante.
J’entends dans le lointain les cris des enfants et ceux des animaux, le jour est à
peine commencé,
J’entends les cavaliers australiens s’encourager de la voix à la poursuite du
cheval sauvage,
J’entends l’Espagnol danser au rythme des castagnettes à l’ombre des
marronniers, rebec et guitare en sourdine,
J’entends une cascade d’échos ininterrompus depuis la Tamise,
J’entends les Français aux accents farouches chanter la liberté,
J’entends de la bouche du gondolier italien jaillir le récitatif mélodieux d’un
ancien poème,
J’entends les sauterelles s’abattre sur grain et herbe en Syrie, de leur nuée
désastreuses
J’entends l’hymne copte au coucher du soleil, mélancolique et rythmique
méditation que réfléchit vénérablement en son sein l’eau maternelle noire
du Nil,
j’entends au Mexique le muletier qui siffle, j’entends aussi les clochettes de la
mule,
J’entends l’appel du muezzin arabe lancé au sommet de la mosquée
J’entends les prêtres chrétiens aux autels de leurs églises, j’entends le répons de
la basse à la soprano,
J’entends les hurlements des Cosaques, la voix d’un marin à l’embarquement à
Okhotsk,
J’entends le sifflement d’un fouet à esclaves sur le passage cadencé de groupes
d’hommes athlétiques enchaînés poignets et chevilles par deux ou trois,
J’entends le juif lire son Talmud et ses psaumes,
J’entends les mythes grecs rythmés, les impressionnantes légendes romaines,
J’entends qu’on me raconte la vie divine et la mort sanglante du beau dieu
Jésus-Christ,
J’entends l’Hindou faire enseignement à son disciple favori, récits de guerres,
adages composés il y a trois mille ans, parvenus intacts jusqu’à nous.
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Maintenant, ce que tu vois Walt Whitman ?
Les gens à qui tu dis bonjour, les gens qui l’un après l’autre te disent bonjour,
dis-nous qui sont-ils ?
Je vois une grande boule merveilleuse qui roule sur elle-même dans l’espace,
Je vois de minuscules fermes, hameaux, ruines, cimetières, prisons, usines,
palais, grabats, huttes barbares, tentes nomades à sa surface,
Je vois sa moitié qui est encore dans l’ombre, les dormeurs y dorment et je vois
son autre moitié qui est éclairée,
Je vois l’échange rapide entre la lumière et la nuit,
Je vois les terres lointaines, lesquelles d’ailleurs ne sont pas moins réelles ou
proches à leurs habitants que ne l’est à moi mon pays.
Je vois riche abondance d’eaux,
Je vois pics de montagnes, sierras des Andes en leur chaîne,
Je vois très nettement Himalaya, Chian Shahs, Altays, Ghauts,
Je vois pinacles abrupts de l’Elbrouz, du Kazbek, du Bazardjusi,
Je vois Alpes styriennes, Alpes Karnac,
Je vois Pyrénées, Balkans, Carpates, au nord Dofrafield, très au large en mer le
mont Hekla,
Je vois Vésuve et Etna, montagnes de la Lune, montagnes rouges de
Madagascar,
Je vois déserts de Lybie, d’Arabie, d’Asie,
Je vois redoutables icebergs d’Arctique et d’Antarctique,
Je vois océans des latitudes supérieures ou inférieures, Atlantique et Pacifique,
Golfe du Mexique, mer des Sargasses, mer du Chili,
Ondes de l’Hindoustan, de la mer de Chine, du golfe de Guinée,
Mer du Japon, magnifique panorama de la baie de Nagasaki enfermée au creux
de ses montagnes,
Surfaces de la Baltique, de la Caspienne, de Botnie, côtes britanniques, golfe
du Lion,
Méditerranée au soleil clair, et de l’une à l’autre de ses îles,
Mer d’Azov, mer des rivages du Groenland.
J’ai dans les yeux les marins du monde entier,
Il y en a qui essuient des tempêtes, d’autres montent le quart de nuit au poste
de vigie,
D’autres encore dérivent sans espoir de secours, d’autres ont des maladies
contagieuses.
J’ai dans les yeux les voiles et les vapeurs du monde entier, leur foule dans les
ports, leur solitude en mer,
Les uns doublent le cap des Tempêtes, d’autres le cap Vert, d’autres les caps de
Guardafui, Bon ou Bojador,
D’autres la pointe de Dondra, d’autres doublent le détroit de la Sonde, d’autres
le cap Lopatka, d’autres le détroit de Béring,
D’autres sont au Cap Horn, d’autres font route dans le golfe du Mexique ou en
vue de Cuba ou d’Haïti, d’autres sont dans la baie d’Hudson ou bien celle
de Baffin,
D’autres traversent la Manche, d’autres entrent dans le Wash, d’autres le golfe
de Solway, d’autres contournent le cap Clear, d’autres sont au cap Land’s
End,
D’autres traversent le Zuyderzee, sont l’embouchure de l’Escaut
D’autres vont dans les deux sens à Gibraltar, aux Dardanelles,
D’autres courageusement font route entre les glaciers du nord,
D’autres descendent ou bien remontent l’Obi, la Lena,
D’autres, c’est le Niger ou le Congo, d’autres l’Indus, le Brahmapoutre ou le
Cambodge,
D’autres sont machine en attente dans les ports d’Australie,
Attendent à Liverpool, Glasgow, Dublin, Marseille, Lisbonne, Naples,
Hambourg, Brême, Bordeaux, La Haye, Copenhague,
Attendent à Valparaiso, Rio de Janeiro, Panama
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J’ai dans le regard les voies des chemins de fer de la terre,
Les chemins de fer de Grande-Bretagne, ceux d’Europe,
Ceux d’Asie, ceux d’Afrique.
J’ai dans le regard des lignes électriques et télégraphiques de la terre,
J’ai dans le regard ces filaments où courent des nouvelles des guerres, des
morts, des pertes, des gains, de toutes les passions de ma race.
J’ai dans le regard les longs rubans d’eau de la terre,
Dans le regard l’Amazone et le Paraguay,
Dans le regard les quatre grands fleuves de Chine, Amour, fleuve jaune, Yang-
Tseu, rivière des Perles,
Dans le regard les lits de la Seine, du Danube, de la Loire, du Rhône, du
Guadalquivir,
Dans le regard les boucles de la Volga, du Dniepr, de l’Oder,
Dans le regard le Toscan qui descend l’Arno, le Vénitien filant sur l’onde du
Pô,
Dans le regard le voilier grec sortant de la baie d’Egine
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J’ai dans le regard les anciens empires d’Assyrie, de Perse et de l’Inde,
J’ai dans le regard les chutes du Gange sur la falaise altière de Saukara,
J’ai dans le regard le lieu où naquit l’idée de la Divinité s’incarnant par
avatar dans la forme humaine,
J’ai dans le regard la succession des prêtres sur la terre, leurs oracles, leurs
sacrifices, les brahmanes, les sabéens, les lamas, les moines, les muftis,
les exhortateurs,
J’ai dans le regard les bosquets de Mona que parcouraient les druides, dans
le regard le gui et la verveine,
J’ai dans le regard les temples contenant les corps morts des dieux, dans le
regard les vieux symboles.
J’ai dans le regard le Christ mangeant le pain lors de la Cène au milieu des
jeunes et vieux,
J’ai dans le regard le puissant athlète juvénile Hercule accomplissant
ponctuellement ses longs travaux avant de périr,
J’ai dans le regard les lieux du florissant Bacchus, le fils nocturne à la vie de
luxe et de richesse mais au destin infortuné,
J’ai dans le regard la beauté de Kneph en sa robe bleue et sa couronne de
plumes sur la tête,
J’ai dans le regard Hermès l’insoupçonnable au moment de sa mort dans
l’affection générale, recommandant
Qu’on ne pleure pas pour lui,
Puisque ce n’était pas son pays véritable dont il avait vécu banni et qu’à
présent il rejoignait,
Rejoignant les sphères célestes où chacun retournera à son heure.
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J’ai devant moi les champs de bataille du monde entier, l’herbe y pousse avec
les fleurs au milieu du blé,
J’ai devant moi les routes des vieilles mais aussi des nouvelles explorations,
J’ai devant moi les mystérieuses franc-maçonneries, les messages de
vénérables évènements demeurés inconnus, héros, exploits demeurés
inconnus de toute la terre.
J’ai devant moi le paysage des sagas,
J’ai devant moi les pins et les sapins tordus par les ouragans du nord,
J’ai devant moi les falaises, les éboulis de granit, devant moi les prairies vertes
avec leurs lacs,
J’ai devant moi les cairns funéraires des guerriers scandinaves,
Je les vois surgissant très haut devant moi avec leurs pierres sur le rivage
d’océans démontés pour que les morts qu’ennuierait le calme de leur
tombe puissent plus facilement, leur esprit traversant les tertres, contempler
d’en haut le jeu tumultueux des vagues, être rassérénés par les tempêtes,
l’immensité, la liberté, l’action.
J’ai sous les yeux les steppes asiatiques,
J’ai sous les yeux les tombelaines de Mongolie, les tentes kalmoukes ou
bachkires,
J’ai sous les yeux les tribus de nomades poussant leurs troupeaux de bœufs et
de vaches,
J’ai sous les yeux les hauts plateaux crevés de ravins, jungles et déserts sous les
yeux,
J’ai sous les yeux chameaux, coursiers sauvages, outardes, moutons à queue
touffue, antilopes, chiens fouisseurs,
J’ai sous les yeux les hautes terres d’Abyssinie,
Sous les yeux les troupeaux de chèvres broutant, sous les yeux figuiers,
tamaris et dattiers,
Sous les yeux les champs de blé à grain dur, espaces de verdure et d’or.
J’ai devant moi le spectacle du vaquero du Brésil
Devant moi le spectacle du Bolivien faisant l’ascension du mont Sorata,
Devant moi le spectacle du Gaucho galopant dans ses plaines, devant moi
l’incomparable cavalier lasso au bras,
Devant moi les pampas où s’engage la poursuite avec les troupeaux libres au
cuir tellement convoité.
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Zones de neige et de glace sous mes yeux à présent,
Samoyèdes ou Finnois aux regards aigus,
Chasseurs de phoques sur leur kayak, harpons prêts à frapper,
Sibériens sur leur traîneau léger que tirent des chiens,
Chasseurs de dauphins, équipes de baleiniers dans le Sud-Pacifique ou
l’Atlantique Nord,
Glaciers, falaises, torrents des vallées suisses – je sais les longs hivers dans
l’isolement.
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Les cités de la terre je m’y fonds, m’y promène au hasard,
Suis un vrai Parisien,
Un Viennois, un citoyen de Saint-Pétersbourg, de Berlin, de Constantinople,
D’Adélaïde, de Sydney, de Melbourne,
De Londres, de Manchester, de Bristol, d’Edimbourg, de Limerick,
De Madrid, de Cadix, de Barcelone, de Porto, de Lyon, de Bruxelles, de Berne,
de Frankfort, de Stuttgart, de Turin, de Florence,
Ai pour patrie Moscou, Cracovie, Varsovie ou tout au nord Christiana ou
Stockholm, ou encore Irkoutsk en Sibérie, ou bien me retrouve dans une rue
d’Islande,
Donc je m’enfonce dans toutes ces villes, j’y descends puis j’en remonte.
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Il y a des exhalaisons de vapeurs qui montent au-dessus des contrées
inexplorées,
J’y distingue les faciès sauvages, arc et flèches leurs armes, ou bien silex à
pointe empoisonnée, leur fétiche, l’obi.
Villes d’Afrique, d’Asie défilent devant moi,
Alger, Tripoli, Derna, Mogador, Tombouctou, Monrovia, Pékin, Canton,
Bénarès, Delhi, Calcutta, Tokyo et leurs multitudes,
Le Kruman dans sa hutte, le Dahoméen, l’Achanti dans leurs huttes, défilent
devant moi,
Comme le Turc fumant sa pipe d’opium à Alep,
Les foules bariolées aux foires de Khiva ou d’Hérat,
Téhéran Mascate et Médine, les intervalles de sable qui les séparent, les
caravanes cheminant péniblement dans leurs directions.
Comme l’Egypte, les Egyptiens, les pyramides, les obélisques,
Les glyphes ciselés dans la pierre, grès, granit, disant l’histoire des conquêtes
royales, des dynasties,
Comme les puits aux momies de Memphis, cadavres embaumés enveloppés de
bandelettes de lin enterrés là depuis de millénaires,
Tel ce Thébain déchu, pupilles dilatées, cou mollement fléchi sur le côté, mains
croisées sur le cœur.
Les domestiques de la terre, peinant au labeur, tous devant moi !
Devant moi les prisonniers dans leurs prisons,
Devant moi les corps humains affligés de déformations.
Aveugles, sourds-muets, idiots, bossus, lunatiques,
Devant moi pirates, voleurs, traîtres, meurtriers, esclavagistes universels.
Devant moi petits enfants sans défense, vulnérables vieillards, hommes ou
femmes.
Masculin et féminin, partout,
Paisible confrérie des philosophes,
Génie constructeur de ma race,
Fruits de la persévérance, de l’industrie de ma race,
Rangs, couleurs, barbaries ou civilisations, partout je suis chez moi, à tout
m’agrège sans discrimination,
Salue unanimement les habitants de notre terre.
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Toi qui que tu sois !
Ou bien la fille ou bien le fils de l’Angleterre !
Que tu viennes des puissantes tribus de l’empire slave ou sois Russe de Russie,
Ou que tu proviennes de l’Afrique obscure, toi le Noir à l’âme divine, au corps
et au visage déliés, au port de tête majestueux, mon frère en destinée que je
mets sur un pied d’égalité avec moi.
Oui toi le Norvégien, le Suédois, le Danois, l’Islandais, le Prussien.
Toi l’Espagnol d’Espagne, toi Portugais,
Toi la Française de France, toi le Français de France,
Toi le Belge, toi le Néerlandais jaloux d’indépendance (c’est là que j’ai mon
origine, ma souche familiale) ;
Toi l’Autrichien solide, toi le Lombard, le Hun, le Bohémien, le fermier de
Styrie,
Toi le voisin du Danube,
Toi le journalier du Rhin, de l’Elbe, de la Weser, toi la travailleuse itou,
Toi le Sarde, le Bavarois, le Souabe, le Saxon, le Valaque, le Bulgare,
Toi le Romain, le Napolitain le Grec !
Toi le souple matador des arènes de Séville,
Toi le montagnard qui vis sans loi sur le Taurus ou le Caucase,
Toi le Bokh vigilant gardien de tes juments et étalons en pâture,
Toi le Perse au corps splendidement en selle décochant tes flèches sur la cible
au grand galop de ta monture,
Toi le Chinois, toi la Chinoise de Chine, toi le Tatare de la Tatarie,
Toi et toi et encore toi femmes de la terre soumises à vos tâches,
Toi le Juif entreprenant malgré ton grand âge un voyage risqué pour retrouver
un jour le sol de la Syrie,
Toi tes autres frères juifs attendant en d’autres terres la venue du Messie,
Toi l’Arménien pensif réfléchissant quelque part au bord du courant de
l’Euphrate, ou toi, qui scrutes les ruines de Ninive, toi qui gravis la
montagne Ararat,
Toi le pèlerin aux pieds usés qui salues à l’horizon les minarets étincelants de
La Mecque,
Toi le cheik gouvernant tribu et famille entre Suez et Bab-el-Mandeb,
Toi planteur d’oliveraie soignant tes arbres aux prairies de Nazareth, de
Damas, au lac de Tibériade,
Toi marchand tibétain voyageant vers les plateaux ou commerçant aux
boutiques de Lhassa,
Toi Japonais, toi Japonaise, toi homme de Madagascar, de Ceylan, de
Sumatra, de Bornéo,
Toi continental d’Asie, d’Afrique, d’Europe, d’Australie, et qu’importent les
lieux,
Vous tous sur les innombrables îles aux archipels des océans,
Vous tous dans les siècles futurs qui m’écouterez d’où je parle,
Vous tous, toi et chacun, où que vous soyez, que j’oublierais nominalement
et à qui je m’adresse tout aussi bien,
Santé et salut, bonheur et bienveillance à tous depuis l’Amérique !
Chacun de nous ici-bas est inévitable,
Chacun de nous est illimité – chacun de nous est dans son droit, lui ou elle,
Chacun de nous aura accès aux finalités éternelles,
Chacun de nous possède la divinité suprême.
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Toi le Hottentot qui cliques ta langue contre ton palais toi l’homme des hordes
à la chevelure crépue,
Toi l’esclave qui verses larmes de sueur ou larmes de sang,
Toi forme humaine qui as l’épouvantablement insondable apparence sur ton
visage de l’animal brut,
Toi le misérable koboo méprisé par le dernier des misérables en dépit de tes
lumineux rudiments de langue et de spiritualité,
Toi le nain du Kamtchatka, du Groenland, de Laponie,
Toi l’aborigène noir d’Australie, nu et enduit de suie d’ocre, lèvres
proéminentes cueillant ta nourriture à même la poussière,
Toi le Cafre, le Berbère, le Soudanais,
Toi l’erratique Bédouin, aux mœurs rugueuses privées de raffinement.
Et vous grouillante sauterelles humaines de Madras, de Nankin, de Kaboul, du
Caire,
Toi le nomade d’Amazonie dans ta nuit forestière, toi, le Patagonien, toi
l’homme des Fidji,
Je ne ferai jamais passer les autres devant vous dans mes préférences,
Je ne dirai jamais rien contre vous, si profondément en arrière que vous soyez.
(Un seul pas en avant et vous serez à ma hauteur, c’est pour bientôt !)
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Mon esprit de compassion et de détermination voyageant autour du globe
entier,
J’ai cherché mes égaux mes amant les ai trouvés qui m’attendaient dans toutes
les terres,
Une relation divine, j’en suis convaincu, m’appariant à eux en toute égalité.
Nuages je suis monté au milieu de vous pour me rendre aux continents
lointains et descendre avec vous, en pluie précises,
Souffles du vent, j’ai soufflé en même temps que vous,
Et vous, vagues, semblablement j’ai caressé avec vos doigts liquides les rives
les plus reculées,
J’ai parcouru la route que parcourent toutes les rivières, tous les canaux du
globe,
Je me suis tenu debout au promontoire des péninsules et depuis les hautes
tables rocheuses j’ai crié :
Salut au monde !
Les cités où pénètrent la lumière, la chaleur, j’y pénètre moi aussi,
Les îles que relient les oiseaux sur leurs ailes, j’y vole moi aussi.
Mon salut à vous tous au nom de l’Amérique,
Voici que mon signal, ma main perpendiculairement dressée,
Visible à jamais après moi
Par toutes les demeures, les maisons où habite l’homme.
Traduit de l’anglais par Jacques Darras
In, Walt Whitman :"Feuilles d’herbes"
Editions Gallimard (Poésie), 2002
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