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Date : 14-02-2025 20:01:35
U.S.A. - Connaissez-vous la "THÉORIE DU FOU", utilisée par Trump pour instaurer un RAPPORT DE FORCE ?
Les récentes déclarations outrancières de Donald Trump concernant Gaza, le Canada ou le Mexique font partie d’une stratégie de communication bien ficelée. Théorisée par l’ancien président américain Richard Nixon, la « madman theory » (théorie du fou, en français) joue sur l’imprévisibilité et la folie de son utilisateur pour s’assurer un avantage dans les rapports de force.
D’abord le Groenland, puis le Canada, le canal de Panama, le golfe du Mexique et plus récemment Gaza. Le président des États-Unis Donald Trump est un adepte des déclarations chocs. Mais pourquoi ? Tout cela ferait en réalité partie d’une stratégie de communication bien précise appelée la « madman theory », la « théorie du fou ».
À l’origine, elle a été popularisée par Richard Nixon pendant la Guerre froide, notamment dans le cadre de la guerre du Vietnam. Le principe est simple : « En politique étrangère, un dirigeant imprévisible et irrationnel aurait l’avantage dans les négociations internationales », explique la chercheuse américaine Natasha Lindstaedt dans un article de The Conversation.
1. Menace d’escalade plus crédible
« Si d’autres pensent qu’un fou pourrait faire à peu près n’importe quoi s’il n’obtient pas ce qu’il veut, la menace d’escalade devient plus crédible, ce qui rend logique de concéder davantage pour désamorcer la situation », résume Daniel Drezner, professeur de politique internationale à l’école de droit et de diplomatie Fletcher de l’université Tufts, dans le Massachusetts.
Mais cette technique n’est pas infaillible. « Non seulement le fait de paraître fou n’apporte que des avantages limités dans les négociations, mais cela érode en réalité la crédibilité d’un dirigeant et porte atteinte, à long terme, aux intérêts de politique étrangère de son pays », nuance Natasha Lindstaedt.
Pour Roseanne McManus, professeure de sciences politiques de l’université de Pennsylvanie, « Trump utilise délibérément la théorie du fou », jouant sur le fait que « de nombreux pays de l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) sont traditionnellement habitués à un engagement américain très prévisible », analyse-t-elle dans le média étasunien NPR. « L’imprévisibilité et la submersion participent à la perte de repères », rejoint Élodie Mielczareck, sémiologue spécialiste du langage verbal et non verbal. Et d’ajouter : « Cela permet de contrôler et manipuler plus facilement. Le chaos profite toujours à celui qui l’organise. »
2. Imposer une narration
Pour elle, la « madman theory » est une véritable manière de diriger. « Dans Trump and a Post-Truth World, Ken Wilber montre comment Donald Trump a fait de la déclaration choc un mode de gouvernance, lance-t-elle, Son discours ne cherche pas la véracité mais l’impact immédiat. Plutôt que de convaincre par des faits, il s’agit d’imposer une narration. »
La sémiologue explique que l’effet émotionnel et de sidération provoqué par ces formules chocs s’adapte tout à fait à nos manières de communiquer. « Elles sont taillées pour les réseaux sociaux et les médias, qui privilégient des formats courts et frappants, poursuit Élodie Mielczareck, elles deviennent virales et leur résonance dépasse leur contenu réel, renforçant la puissance politique de leur interlocuteur. »
3. "Flood zone with shit"
Cela rappelle la stratégie de communication que Trump a commencé à utiliser au début de son premier mandat en 2016, théorisée par son principal conseiller politique Steve Bannon. Il l’a appelée : « flood zone with shit », autrement dit, « inonder la zone avec de la m… ». L’objectif : inonder les gens d’informations, de scandales, de contenus absurdes, etc. pour que les opposants politiques se retrouvent complètement dépassés et ne sachent plus où donner de la tête.
Ce faisant, les médias ont besoin de temps pour pouvoir tout analyser. Et « pendant qu’ils sont occupés à débattre ou à vérifier les informations, vous avez le temps de prendre d’autres mesures, on passe à la déclaration suivante et tout le monde a oublié », explique L’Express.
Là aussi, c’est une stratégie très adaptée à nos réseaux sociaux. « En profitant de la vélocité et de la complexité de nos sociétés, il a théorisé l’art d’utiliser les médias pour casser le débat public », explique Le Temps au sujet de Steve Bannon. Par exemple, comme le rappelle le Washington Post, l’annonce de Trump concernant Gaza est intervenue au moment où l’opposition s’est soudainement mobilisée pour combattre la prise de contrôle hostile du gouvernement par lui et Elon Musk.
Les stratégies communicationnelles que l’on énumère permettent « d’être visible, entendu et repris, et donc d’exister médiatiquement, puisque les médias fonctionnent à l’indignation », souligne Élodie Mielczareck. Un constat partagé par Denis Lacorne, spécialiste de l’histoire politique des États-Unis, interrogé en 2020 par l’édition du soir : « On voit que ce président [Trump] est impulsif, donc il lance des choses, voit ce qu’il se passe, si c’est populaire ou pas, puis fait machine arrière quand il y est forcé. C’est le chaos généralisé. »
4. Fenêtre d’Overton
Enfin, on ne pourrait pas parler de la manière d’agir de Donald Trump sans mentionner le concept de la fenêtre d’Overton. L’idée est la suivante : en promouvant délibérément des idées extrêmes, l’opinion publique sera plus encline à accepter, par effet de comparaison, des idées qui étaient jusqu’alors considérées comme marginales.
Mais l’utilisation de cette stratégie de communication n’en est qu’une parmi tant d’autres. Et tous les politiciens les utilisent. « Présenter Trump ainsi sous-entend que les autres partis, centristes, par exemple, sont « neutres » ou n’useraient pas de ces stratégies, soutient la sémiologue. Obama a relancé l’art du « hope speech », tout comme Macron en 2017 : on ne joue pas sur le chaos, mais sur un récit émotionnel structurant, inspirant et inclusif, en mettant de côté ce qui fâche. »
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