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Date : 08-10-2024 21:23:21
NOBEL DE PHYSIQUE / 3 - John Hopfield et Geoffrey Hinton ouvrent la voie :
En découvrant les travaux de son collègue américain, Geoffrey Hinton décide d’approfondir le réseau de Hopfield, en l’associant à une équation établie en 1877 par le père de la physique statistique, Ludwig Boltzmann. Cette équation décrit l’évolution des systèmes thermodynamiques hors équilibre. Par exemple, dans un fluide dont certaines régions sont plus chaudes que d’autres, un flux de chaleur va transférer de l’énergie du plus chaud vers le plus froid, jusqu’à retrouver l’équilibre.
Fort de cette équation, toujours en faisant le parallèle entre ces particules et les neurones artificiels représentés dans un ordinateur, GEOFFREY HINTON DECRIT UNE «MACHINE DE BOLTZMANN». Elle repose sur un double ensemble de neurones artificiels. Une version en deux dimensions, en quelque sorte, du réseau décrit par Hopfield trois ans plus tôt. Un modèle capable d’apprendre à partir d’exemples, un embryon d’IA générative. Il a aussi permis, dès les années 1990, de reconnaître les caractères manuscrits, ce qui a révolutionné le tri postal.
En 1982, Hopfield avait dû se contenter d’un réseau de 30 neurones – soit 435 connexions s’ils sont tous reliés entre eux. Un essai avec 100 neurones s’est avéré beaucoup trop complexe pour les ordinateurs de l’époque. Mais à partir des années 2010, tout s’est accéléré. «Aujourd’hui, les modèles d’apprentissage s’appuient sur des milliers de milliards de connexions entre neurones artificiels», rappelle Jean-Gabriel Ganascia.
> Une récompense inattendue :
Ce prix ne récompense donc pas directement une découverte fondamentale de la physique. «C’est ce qui rend ce Prix Nobel un peu surprenant», insiste Jean-Gabriel Ganascia. Geoffrey Hinton semble lui aussi avoir été pris par surprise quand il a reçu, mardi, un coup de fil de Stockholm depuis la salle où se tenait la conférence de presse de l’Académie royale des sciences de Suède. «Je n’imaginais pas une seconde qu’une telle chose puisse arriver. Je dois dire l’immense dette que j’ai envers David Rumelhart et Terry Sejnowski.»
Ces deux chercheurs ont accompagné la mise au point du concept de machine de Boltzmann. «C’est un coup de tonnerre pour moi. Je me trouve dans un motel modeste en Californie, qui n’a pas de connexion internet et a un piètre réseau téléphonique. J’avais rendez-vous pour faire une IRM aujourd’hui, mais je crois que je vais annuler.»
«Aujourd'hui, on ne comprend pas bien comment fonctionnent les IA, comment elles apprennent à distinguer un chien d'un chat, de combien de données a-t-on besoin pour cela, à quel point les algorithmes peuvent être efficaces, souligne Lenka Zdeborova, professeure de physique et d'intelligence artificielle à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). C'est là où le regard porté par la physique statistique est important. C'est d'abord en ce sens que les travaux récompensés par le Nobel sont fondateurs, ils nous aident à mieux comprendre ce que nous faisons aujourd'hui.»
Pendant la séance de questions-réponses avec des journalistes présents à Stockholm mardi, Geoffrey Hinton a souligné l’importance de l’IA. «Son influence sera comparable à celle de la révolution industrielle; nous n’avons aucune expérience de ce que ça représente d’utiliser des machines plus intelligentes que nous, et ce sera sans doute merveilleux à bien des égards.»
Une évolution réjouissante à première vue, notamment en médecine, pour le physicien canadien qui souligne néanmoins «qu’il faudra s’inquiéter d’un nombre de conséquences néfastes, notamment la menace d’IA qui deviendraient incontrôlables.» EN MAI 2023, GEOFFREY HINTON AVAIT FAIT PART, POUR LA PREMIERE FOIS PUBLIQUEMENT, DE SON PESSIMISME. «Je pense parfois que c’est comme si des aliens avaient débarqué et que les gens n’en ont pas pris conscience parce qu’ils parlent un anglais excellent», avait-il confié aux colonnes de MIT Technology Review. Une sorte d'écho aux idées défendues par le Britannique Martin Rees, qui figurait aussi en bonne place sur la liste des nobélisables cette année pour ses contributions majeures à l'astrophysique et la cosmologie. Lui estime qu'il faut repenser notre manière de rechercher des signes de l'existence de civilisations extraterrestres, lesquelles ont très bien pu remplacer toute matérialité par des IA et ainsi se faire discrètes…
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