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Date : 07-01-2025 13:54:03
DECES DE JEAN-MARIE LE PEN (à l’âge de 96 ans) - L’itinéraire politique hors normes d’un « paria »
>>> Jean-Marie Le Pen est décédé ce mardi 7 janvier à l’âge de 96 ans. L’ancien président du Front national a connu un itinéraire politique hors normes. Par son verbe haut et souvent choisi, ses multiples provocations, il a occupé la scène pendant plus de soixante ans. Une longévité unique. Il a sorti l’extrême droite nationaliste et xénophobe de la marginalité qui était la sienne après la Seconde Guerre mondiale.
L’homme politique d’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, est mort ce mardi 7 janvier à l’âge de 06 ans.
20 heures, le dimanche 21 avril 2002. Le visage de Jean-Marie Le Pen s’affiche à côté de celui de Jacques Chirac sur les écrans de télévision. Partout, en France et dans le monde, c’est la stupeur. Bousculant tous les pronostics, le leader de l’extrême droite française vient de réussir le plus beau coup de sa déjà très longue carrière politique. À 73 ans, il accède au second tour de l’élection présidentielle avec 16,9 % des voix.
C’est un véritable séisme. Défait, sonné par ce « coup de tonnerre », le socialiste Lionel Jospin annonce d’une voix blanche son retrait définitif de la vie politique. Jean-Marie Le Pen triomphe, lui qui se définit comme le « candidat antisystème ». Il exhorte « les petits, les sans-grades, les exclus » à ne pas se laisser « enfermer dans les vieilles divisions de la gauche et de la droite » et à voter pour lui lors du second tour.
Le phénomène Le Pen est le fruit d’une longue maturation. Entré tôt dans la vie politique, à 27 ans, Jean-Marie Le Pen a attendu la soixantaine pour véritablement percer dans l’opinion. Pendant longtemps, ses idées d’extrême droite l’ont condamné à la marginalité. Mais sa personnalité hors normes, sa persévérance et son sens de la provocation lui ont finalement permis d’attirer la lumière. Et les suffrages. Le « paria », comme il se désignait lui-même, a alors pris sa revanche.
>>> Des idées politiques d’extrême droite
Les idées politiques de Jean-Marie Le Pen sont clairement d’extrême droite, même s’il se présentait comme le tenant de la « droite nationale ». Ainsi, sans aller jusqu’à cautionner la politique de collaboration avec l’Allemagne nazie, il a manifesté une fidélité sans faille au principal dirigeant du régime de Vichy, le maréchal Pétain.
Jean-Marie Le Pen est un adepte de la théorie du bouclier et de l’épée, qui veut que De Gaulle et Pétain ont tacitement agi de concert, chacun à leur manière, pour défendre les intérêts de la France à un moment particulièrement tragique de son Histoire.
Le maréchal Pétain « n’a pas failli à l’honneur en signant l’armistice » en 1940, écrit-il dans ses mémoires, dont le premier tome, Fils de la Nation, est paru en février 2018. Philippe Pétain, devenu président du Conseil en juin 1940, « était légal et légitime, il avait passé avec le Reich un acte régulier et contraignant ».
>>> Un adepte des propos à caractère antisémite
L’antisémitisme caractérisait le régime de Vichy, complice de l’Allemagne nazie dans son entreprise d’extermination du peuple juif. Là aussi, Jean-Marie Le Pen ne se désolidarise pas franchement de la politique suivie sous l’autorité du maréchal Pétain. Il flirte volontiers avec les pires stéréotypes antisémites. De manière récurrente, il tient des propos qui tendent à banaliser la Shoah, le génocide des Juifs, frisant même le négationnisme.
En 1987, il fait scandale en estimant que l’existence des chambres à gaz nazies constitue « un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ». En 1988, il se livre à un calembour injurieux, « Durafour crématoire », à l’égard du ministre de la fonction publique de l’époque, Michel Durafour.
En 2005, il estime dans l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol que l’occupation allemande « n’avait pas été particulièrement inhumaine » en France. En 2014, évoquant des artistes anti-FN, il se propose d’en faire une « fournée ». Il cible alors nommément le chanteur Patrick Bruel, de confession juive.
Jean-Marie Le Pen a été régulièrement condamné par la justice, notamment pour contestation de crime contre l’humanité et provocation à la haine. Ses propos antisémites répétés, conjugués à sa défense du maréchal Pétain, seront à l’origine de son exclusion du Front national en 2015. Devenue présidente du parti, Marine Le Pen jugeait les provocations de son père comme foncièrement incompatibles avec sa stratégie de « dédiabolisation ».
>>> Une certaine fascination pour le IIIe Reich
Pétainiste, Jean-Marie Le Pen manifeste aussi une certaine fascination pour le IIIe Reich. En 1963, il fonde une maison d’édition, la Serp, spécialisée dans la diffusion d’enregistrements de chants militaires et de discours historiques. La société est condamnée, en 1968, pour « apologie de crime de guerre », après la diffusion d’un disque de chants du IIIe Reich.
Le culte de la force et du chef fait incontestablement partie de l’ADN politique de Jean-Marie le Pen. Il s’est toujours défendu avec force d’être un fasciste, voire un « hitlérien ». Mais il s’est complu dans l’ambiguïté, peut-être du fait de son goût profond de la provocation. Ainsi, deux statuettes reproduisant des œuvres d’Arno Breker, sculpteur attitré du régime nazi, ont pu être filmées sur une cheminée de l’hôtel particulier de Montretout, où il avait ses bureaux, en 2018. Les sculptures originales, qui mesuraient 3,50 m, se trouvaient dans la cour d’honneur de la chancellerie du Reich.
Enfin, autre marqueur fort du régime de Vichy, l’anticommunisme a été un ressort constant de l’action de Jean-Marie Le Pen, jusqu’à ce que la chute du mur de Berlin, en 1989, le prive de son adversaire favori. Lors de ses années étudiantes, au début des années 1950, il fait volontiers le coup de poing contre les « cocos », les communistes, qui tiennent alors le haut du pavé dans le Quartier latin.
>>> Élu pour la première fois sous la IVe République :
Jean-Marie Le Pen fait ses premiers pas en politique sous la IVe République. En janvier 1956, il est élu député du département de la Seine sur les listes présentées par Pierre Poujade. Il n’a que 27 ans et revient d’Indochine où il a servi dans les parachutistes. Par la suite, à l’automne 1956, il revêtira à nouveau l’uniforme pour participer à l’expédition de Suez, puis effectuera un séjour en Algérie.
Poujade est, à l’origine, le leader d’un mouvement de petits commerçants et d’artisans qui protestent contre les contrôles fiscaux. Violemment antiparlementaire, il est l’auteur d’un slogan resté fameux : « Sortez les sortants ! » Se voulant le représentant des « petits », Poujade dénonce avec véhémence « l’État vampire », les « éminences » et les « apatrides » qui occupent la « maison France ».
Autant de thèmes que Jean-Marie Le Pen reprendra plus tard avec sa dénonciation de « l’establishment » ou son refus de l’immigration. Pour le moment, à l’Assemblée nationale, il se fait déjà remarquer par ses interventions musclées. Revenu d’Algérie, où les rebelles commettent des attentats meurtriers qui visent les civils, il tente ainsi de faire passer un amendement sur la déchéance de nationalité des terroristes.
C’est l’époque des Trente Glorieuses. Le mouvement poujadiste représente une réaction aux transformations rapides et profondes, économiques et sociales, que traverse la France. Mais il ne sera qu’un feu de paille. Trop timoré, Poujade déçoit Le Pen qui rêve d’un changement de régime. Les deux hommes finissent par se séparer.
Jean-Marie Le Pen est réélu député, dans la troisième circonscription de la Seine, en novembre 1958, sous l’étiquette « Indépendants de Paris ».
En 1962, il est battu par le gaulliste de gauche René Capitant. Il devra attendre 1986 pour retrouver l’Assemblée nationale, pendant deux ans, à la faveur de la proportionnelle instaurée par François Mitterrand.
>>> Le Pen et de Gaulle : une haine profonde :
Jean-Marie Le Pen raconte dans ses mémoires sa première rencontre, à l’âge de 17 ans, avec le général de Gaulle. La scène se passe à Auray le 23 juillet 1945 : « Il me parut laid et dit quelques banalités à la tribune tendue de tricolore. Il n’avait pas une tête de héros. Un héros doit être beau. Comme saint Michel ou le maréchal Pétain. »
Au moment de la guerre d’Algérie, c’est une haine profonde que va développer Jean-Marie Le Pen à l’égard de l’homme du 18 juin. Il ne digère pas le droit à l’autodétermination accordé aux Algériens et la répression des putschistes d’Alger de 1961.
Pour lui, De Gaulle est l’homme qui a ruiné la grandeur de la France avec l’abandon de son empire colonial. « En apparence il y a deux de Gaulle, le rebelle de 1940 et le chasseur de rebelles de 1961. Mais tous les deux, ensemble, forment pour moi un faux grand homme dont le destin fut d’aider la France à devenir petite », juge-t-il dans ses mémoires.
Avec l’avènement du gaullisme en 1958, Le Pen entame une traversée du désert qui va durer plus de vingt ans. En 1965, il fait la campagne du candidat de l’extrême droite, Jean-Louis Tixier Vignancour, lors de la première élection présidentielle au suffrage universel.
Avocat, Tixier Vignancour a défendu des activistes de l’OAS comme le général Salan ou le lieutenant-colonel Bastien-Thiry, fusillé pour avoir organisé l’attentat du Petit-Clamart contre De Gaulle. Ce fidèle du maréchal Pétain ne recueille que 5,2 % des suffrages. Face à François Mitterrand, le général de Gaulle est élu président de la République au second tour.
>>> L’homme au bandeau sur l’œil
Jean-Marie Le Pen amorce son retour sur la scène politique nationale en 1974, à l’occasion de l’élection présidentielle qui suit le décès de Georges Pompidou. Il se présente sous l’étiquette Front national, un parti politique créé en 1972 pour élargir l’audience d’un groupuscule nationaliste et néofasciste, Ordre nouveau. Dès l’origine, le refus de l’immigration est son principal fonds de commerce électoral avec ce slogan : « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ! »
Jean-Marie Le Pen se veut le candidat de la « droite, sociale, populaire et nationale ». Il obtient un score modeste : 0,7 % des suffrages, soit 191 000 voix. Ayant perdu un œil, il marque l’opinion par l’impressionnant bandeau qui masque son orbite gauche. Il se démarque des autres candidats. Mais il effraie plus qu’il ne séduit. Avec son bandeau, il représente une incarnation de la vieille droite factieuse et antiparlementaire.
Est-ce pour rassurer les électeurs ? Jean-Marie Le Pen change assez vite d’apparence. Il se fait opérer et met une prothèse, un œil de verre, qui dissimule son handicap.
Longtemps, Jean-Marie Le Pen a laissé dire qu’il avait perdu son œil lors d’une bagarre survenue lors d’un meeting politique, en 1958, pour défendre un ami algérien. Ce n’est qu’une légende destinée à faire valoir son courage physique et à l’exonérer des accusations de racisme. En fait, comme il le révèle dans ses mémoires, un accident plus banal est à l’origine de la perte de son œil. En 1965, alors qu’il monte un chapiteau lors de la campagne de Jean-Louis Tixier Vignancour, il est victime d’un choc qui entraîne un décollement de la rétine.
>>> Une percée politique sous François Mitterrand
Jusque dans les années 1980, le Front national végète. Jean-Marie Le Pen fait sa percée politique après l’élection de François Mitterrand et l’accession de la gauche au pouvoir en 1981. C’est pain bénit pour l’activiste d’extrême droite qui peut dès lors donner libre cours à son anticommunisme viscéral. Avec, à la clé, de premiers succès électoraux.
Le Pen se sent pousser des ailes. Il mise sur les médias pour se faire connaître. Au printemps 1982, il écrit à François Mitterrand pour se plaindre de l’absence de couverture télévisuelle du congrès du Front national. Le Président de la République lui répond qu’il juge cela « regrettable ». Une semaine plus tard, Jean-Marie Le Pen passe en direct au journal de 20 Heures de TF1, qui est encore une chaîne publique.
François Mitterrand semble favoriser l’émergence du Front national et de son leader comme un moyen d’affaiblir l’opposition de droite à un moment où la gauche fait face à des difficultés grandissantes.
>>> Une extrême droite qui monte
En 1983, lors d’une municipale partielle à Dreux, Jean-Pierre Stirbois, lieutenant de Le Pen, obtient 16 % au premier tour et parvient à fusionner avec la liste de droite RPR-UDF, qui l’emporte au second tour. Stirbois devient adjoint au maire. L’élection de Dreux devient le symbole de la montée de l’extrême droite. À droite, celle-ci est redevenue fréquentable pour certains.
Avec le succès de Dreux, un cap est franchi. En février 1984, Jean-Marie Le Pen est invité dans la célèbre émission politique L’Heure de vérité. Le journaliste François-Henri de Virieu lui lance : « Vous êtes un marginal de la vie politique, Monsieur Le Pen, vous faites peur ». Le président du Front national reconnaît des « propos virils » mais se défend de racisme. « J’aime mieux ma fille que ma nièce, ma nièce que ma cousine, ma cousine que ma voisine », répond-il à ce sujet. Une formule qu’il reprendra souvent par la suite.
Lors de cette émission, Le Pen montre qu’il sait déjà parfaitement jouer avec les médias. Il impose une minute de silence « à la mémoire des dizaines de millions d’hommes qui sont tombés victimes de la dictature communiste ». Il fait un tabac. Dès le lendemain, le FN enregistre des centaines d’adhésions.
En juin 1984, Jean-Marie Le Pen est élu au Parlement européen. À force de persévérance, douze ans après la création du Front national, l’ancien poujadiste s’est fait une place sur l’échiquier politique. En 1986, 35 députés Front national font leur entrée à l’Assemblée nationale à la faveur de la proportionnelle instaurée par François Mitterrand. Le FN bouscule l’équilibre traditionnel gauche-droite. Jean-Marie Le Pen rêve désormais de gravir la plus haute marche, celle qui mène à l’Elysée.
>>> Cinq fois candidat à l’élection présidentielle
En 1981, Jean-Marie Le Pen ne peut se présenter à l’élection présidentielle faute d’avoir obtenu suffisamment de parrainages. C’est en 1988, après les premiers succès électoraux du Front national, qu’il peut à nouveau concourir. Il met en avant le thème de la sécurité. Il affirme dire « tout haut ce que tout le monde pense tout bas » et s’oppose à la « société pluriculturelle, multiraciale, internationaliste » que prône, selon lui, François Mitterrand. Il obtient 4,4 millions de voix, soit 14,4 % des suffrages, un score bien supérieur à ce que lui prédisaient les sondages.
Jean-Marie Le Pen s’est présenté cinq fois à l’élection présidentielle. Il n’a jamais fait aussi bien qu’en 2002 où il se qualifie pour le second tour. Le 21 avril 2002 est son jour de gloire.
Mais il ne transforme pas l’essai. Lors du second tour, le 5 mai, Jacques Chirac l’emporte avec 82,2 % des voix, score jamais vu lors d’une élection présidentielle.
Le candidat du Front national mesure alors le rejet qu’il suscite toujours dans une large partie de l’opinion. Le 1er mai, de grandes manifestations ont eu lieu dans toute la France pour dire « non » à l’extrême droite. Elles ont rassemblé 1,5 million de personnes, dont plus de 500 000 à Paris, l’un des plus grands défilés qui ait eu lieu dans la capitale depuis la Libération.
Une personne brandit une affiche anti-Le Pen, au pied de la statue de la Place de la République, le 1e r mai 2002 à Paris, lors d’une manifestation qui regroupe environ 400 000 personnes répondant à l’appel des syndicats et partis politiques de gauche contre la présence au second tour de la présidentielle, de Jean-Marie Le Pen. | JOEL ROBINE/ARCHIVES AFP
En 2007, pour son ultime baroud présidentiel, Jean-Marie Le Pen n’arrive qu’en quatrième position au premier tour avec 10,4 % des voix. En 2012, c’est sa fille Marine qui part à la bataille, remportant 18 % des voix au premier tour du scrutin. Il ne tardera pas à se brouiller avec elle. Jean-Marie Le Pen n’aime pas qu’on lui vole la vedette. Ni qu’on fasse mieux que lui. Marine Le Pen finit par exclure son père du parti en 2015 après des propos polémiques répétés sur la Shoah.
>>> Quel héritage politique ?
Par son verbe haut et souvent choisi, ses multiples provocations, ce trublion de la vie politique française a occupé la scène pendant plus de soixante ans. Une longévité unique. La politique a été le principal métier, et peut-être le seul, qu’il ait vraiment exercé. Avec des hauts et des bas. Jean-Marie Le Pen a parfois été contesté au sein même du parti qu’il a fondé.
En 1998, il entre en conflit ouvert avec le numéro 2 du FN, Bruno Mégret, qu’il traite de « félon ». Les mégrétistes font sécession. C’est une hémorragie pour le Front national qui perd plus de la moitié de ses conseillers régionaux et secrétaires départementaux. La fille aînée de Jean-Marie Le Pen, Marie-Caroline, fait partie des dissidents.
Au final, Jean-Marie Le Pen n’a jamais accédé à de grandes responsabilités. Il a pourtant contribué à remodeler en profondeur le paysage politique français. Grâce à lui, l’extrême droite nationaliste et xénophobe est sortie de la marginalité qui était la sienne du fait de la politique de collaboration du régime de Vichy avec l’Allemagne nazie et, surtout, de l’avènement du gaullisme.
Jean-Marie Le Pen a été un précurseur de la montée des populismes en Europe. À l’heure du bilan, c’est peut-être son principal héritage politique.
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