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Date : 16-04-2025 16:39:57
NIGER - L'enlèvement de la Suissesse porte la marque de l'État Islamique :
La piste jihadiste est privilégiée dans le rapt de la ressortissante suisse dimanche soir à Agadez dans le nord du Niger, pays sahélien miné par des groupes armés affiliés à l’organisation État islamique ou à Al-Qaïda, selon des experts interrogés par l’AFP.
«Le mode opératoire est presque le même: des inconnus surgissent, procèdent à l’enlèvement, mettent l’otage dans un véhicule» et sortent de la ville, explique à l’AFP Seidik Abba, président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel.
«Ce mode opératoire amène à penser que ce sont des groupes intermédiaires qui procèdent à l’enlèvement, qui revendent ensuite l’otage à un groupe terroriste, en l’occurrence l’État islamique, ou que les groupes eux-mêmes s’infiltrent dans la ville et procèdent à l’enlèvement», ajoute le chercheur.
Le rapt de la Suissesse, âgée de 67 ans et présentée comme Claudia, n’a pour l’heure pas été revendiqué.
Mais plusieurs observateurs estiment que l’État islamique au Sahel (EIS) serait derrière les récents kidnappings dans la zone, notamment celui de l’Autrichienne Eva Gretzmacher (73 ans), enlevée à son domicile dans la même ville d’Agadez le 11 janvier, et des quatre camionneurs marocains enlevés le 18 janvier sur la route entre Dori (nord-est du Burkina) et Téra (ouest du Niger).
L’enlèvement de «Claudia», qui vit depuis plusieurs années à Agadez et est mariée à un Nigérien, «vient dans la ligne de ces dernières prises d’otages au Sahel, dit à l’AFP Wassim Nasr, chercheur au Soufan Center et journaliste spécialiste des mouvements jihadistes, en rappelant que «l’État islamique a fait une sorte d’appel d’offres pour l’enlèvement d’Occidentaux pour son compte».
Agadez «n’est pas une région sous l’influence de l’État islamique», les enlèvements de «Claudia» et de l’Autrichienne Eva Gretzmacher «sont l’œuvre de sous-traitants des groupes terroristes», estime le journaliste Ibrahim Manzo Diallo, directeur du média réputé «Aïr-Info», basé à Agadez.
Le même mode opératoire a été utilisé mi-janvier lors du rapt d’un ressortissant espagnol à la frontière algéro-malienne, libéré le 22 janvier, rappelle Wassim Nasr.
Les kidnappeurs, un groupe criminel composé d’Algériens et de Maliens âgés d’une vingtaine d’années, n’avaient pas finalement pu transférer les otages à l’EI en raison d'«une grosse pression de l’Algérie» et de l'intervention de rebelles et chefs de tribus touaregs du nord du Mali, ajoute-t-il.
Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM selon son acronyme en arabe, affilié à Al-Qaïda) avait pour sa part nié toute implication concernant les enlèvements de l’Autrichienne et de l’Espagnol.
Le JNIM a annoncé qu’il ne «faisait plus d’enlèvements de ressortissants occidentaux depuis qu’il a libéré en février 2024 trois Italiens» d’une même famille, enlevés au Mali en mai 2022, rappelle M. Nasr, ajoutant que le groupe détient toutefois encore «deux ressortissants russes liés à Wagner, enlevés au Niger» en juillet 2024.
«Si c’est l’État islamique, ça veut dire qu’il y a eu un changement dans l’approche de l’EI, car le groupe n’était pas véritablement dans le business des otages. C’était surtout le JNIM qui était dans ça», explique Yvan Guichaoua, chercheur au Bonn International Centre for Conflict Studies.
«Et ça veut dire aussi que l’État islamique a (désormais) un dispositif logistique pour s’occuper des otages, parce que c’est quand même assez compliqué, il faut les changer de place régulièrement, il faut s’occuper de leur santé, de les nourrir, mettre des gens à disposition pour les surveiller», ajoute t-il.
Selon Seidik Abba, l’enlèvement de «Claudia» remet aussi en question la sécurité à Agadez, «une ville garnison» où des assaillants peuvent facilement enlever des personnes et parviennent ensuite à «échapper à tous les mécanismes de surveillance». L’armée nigérienne avait pourtant récemment renforcé ses positions dans la ville.
Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2013, la grande ville du Nord est largement désertée par les touristes depuis les années 90 en raison de l’insécurité dans la région.
Les nouvelles autorités militaires du Niger, arrivées au pouvoir à la suite d’un coup d’État, ont exigé le départ de l’armée américaine qui a fermé en mars 2024 sa base de drones à Agadez.
Depuis le départ des Américains, «il y a une liberté d’action pour les groupes jihadistes, car il n’y a plus de surveillance aérienne efficace», souligne Wassim Nasr.
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