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Date : 25-02-2022 13:22:26
Je vous propose des éléments de réflexion quant à la guerre que Poutine vient d’engager en Ukraine et les suites possibles.
Je n’ai pas la prétention d’exprimer un avis personnel affirmé et suffisamment documenté sur ce qui s’ensuivra à la suite de cette attaque (cette guerre n’a pas débuté hier), ni sur ce que seront les conséquences de ce conflit.
Je suis simplement, comme beaucoup, sidéré par la situation, assez grave pour déclencher de la peur, des angoisses auxquelles peu doivent aujourd'hui échapper. Mais je ne suis pas surpris par ce qui arrive...
D’autres avis et réflexions sont d’ores et déjà exprimés et diffusés dans les médias. Il est possible que certains s'expriment ici.
Ma proposition n’est donc évidemment pas exhaustive. Elle a simplement pour but d'ouvrir un éventuel débat, où chacun pourra, le cas échéant, exprimer son point de vue sur un conflit dans lequel nous sommes impliqués malgré tout à divers titres, humain, économique, politique, bien qu’il se déroule dans un pays proche de nos frontières, mais non intégré à l’Europe, ni à l’OTAN (auquel nous adhérons),...
Je présente ces éléments en deux temps :
- Un développement sur les causes de la guerre. L’article de l’Internaute que j’ai choisi explique pourquoi Vladimir Poutine a pris la décision d'une opération militaire spéciale en Ukraine, lancée le jeudi 24 février. En gros, ce coup de force du président russe est le résultat de longs mois de tensions entre le régime ukrainien et la Russie sur fond d'alliances et de menaces d'adhésion à l'Otan. L’article fait donc un retour sur les causes de cette guerre en Ukraine.
- Un extrait d’une étude critique d’une contribution au paradigme des « nouvelles guerres », qui pose comme théorie, en s’appuyant sur une thèse de Clausewitz, que les succès militaires pourtant indéniables n’entraînent pas nécessairement la cessation des hostilités et le retour de la paix.
Cette situation nouvelle, qualifiée dans l’étude « d’impuissance de la victoire », développe le postulat qui dit que, si hier, la victoire militaire était décisive puisqu’elle avait pour conséquence inévitable le renoncement du belligérant défait, elle est aujourd’hui impuissante puisque l’affrontement peut se poursuivre en dépit de la défaite de l’un des belligérants.
Concrètement, le belligérant défait, incapable de faire face frontalement à la puissance militaire de son adversaire, se réfugie dans une autre forme de confrontation violente : la guerre asymétrique. En usant de la dispersion, de la surprise, du mouvement, il n’offre plus de cible à son adversaire, échappant d’abord à la détection – y compris par les appareils technologiques les plus modernes – et, logiquement, à la destruction.
Ainsi, si les insurgés ukrainiens s’entêtaient à refuser le combat que les Russes veulent leur imposer, et poursuivaient la lutte armée “un cran au-dessous” ou “un cran ailleurs”, là où la force et la technologie deviennent presque inopérantes », tout pourrait changer.
Aujourd’hui, s’ils sont suffisamment déterminés, les Ukrainiens pourraient donc contourner la puissance de l’adversaire russe et faire durer la guerre pour le fatiguer et obtenir son renoncement. En conséquence, le rapport de force et la situation militaire de chacun n’importent plus guère : désormais tout est affaire de volonté. Volonté des belligérants évidemment. Mais aussi volonté de la population, au milieu de laquelle se déroule la guerre aujourd’hui.
CAUSES DE LA GUERRE EN UKRAINE : POURQUOI POUTINE A-T-IL ATTAQUE
La crise en Ukraine a pris un tournant important le jeudi 24 février 2022 avec la déclaration du président russe Vladimir Poutine, de premiers bombardements et l'entrée sur le sol ukrainien de forces armées russes à l'est, au sud par la Crimée et au nord via la Biélorussie, allié de Moscou. Cette entrée en guerre résulte de longs mois de tensions entre les deux pays, la Russie n'acceptant pas le rapprochement de l'Ukraine avec les démocraties occidentales et encore moins son désir d'adhérer à l'OTAN, un point inacceptable pour Vladimir Poutine qui y voit une menace pour ses frontières.
Le 12 juillet 2021, Vladimir Poutine publie ainsi un long texte sur le site du Kremlin dans lequel il revient sur l’histoire qui lie la Russie et l’Ukraine depuis des siècles. Dans ses écrits, le président russe rappelle que "les Russes et les Ukrainiens ne formaient qu’un seul peuple" au regard de l’histoire entre les deux nations. Pour lui, l’indépendance prise par le pays voisin en 1991 "est notre grand malheur et notre grande tragédie commune". Un sentiment renforcé avec la volonté réitérée, en août 2021, du président ukrainien Volodymyr Zelenski d’intégrer l’Otan, et donc de s’éloigner un peu plus de la Russie. "Je ne peux pas admettre qu’on ne propose pas un plan d’action pour l’adhésion à l’Otan à l’Ukraine. Plus on attend, plus des pays hésitent sur cette question, et plus ça confirme l’influence de la Russie sur des États au niveau économique, politique, comme sur le plan des relations personnelles", déclare-t-il à plusieurs médias, dont Libération.
L'escalade dès l'automne 2021
Au cours de l’automne, la Russie déploie environ 100 000 hommes à plusieurs endroits de sa frontière avec l’Ukraine. Une première menace ? Le 17 décembre 2021, la Russie rend publics deux propositions de traités qu’elle souhaitait signer avec l’Otan. Une rencontre entre des dirigeants russes, américains et des représentants de l’organisation est organisée. Vladimir Poutine exige plusieurs choses de ses interlocuteurs. La principale : un engagement à ne plus élargir l’Otan et n'entamer aucun nouveau processus d’adhésion, surtout avec l’Ukraine. Par ailleurs, le président russe veut que les États-Unis s’engagent à ne plus établir des bases et activités militaires en Ukraine, mais aussi dans divers états d’Europe orientale, du Caucase du sud et d’Asie centrale, soit des anciens territoires de l’URSS. Des exigences que la Russie souhaite faire appliquer car elle estime être menacée par l’Occident et craindre pour sa sécurité. En disposant, dans le même temps, ses forces militaires pour encercler l’Ukraine, Vladimir Poutine pose alors un ultimatum à peine déguisé.
Or, le 26 janvier 2022, les États-Unis adressent leur réponse, refusant de s’engager à ne pas élargir l’Otan et à fermer définitivement la porte à une adhésion de l’Ukraine. En revanche, les Américains ouvrent la voie pour des discussions pour évoquer la présence de missiles stratégiques et armes nucléaires en Europe et proposé "la possibilité de mesures de transparence réciproques en ce qui concerne nos positions militaires ainsi que de mesures pour améliorer la confiance en ce qui concerne les exercices militaires et les manœuvres en Europe". Devant le principal refus, des hommes supplémentaires sont déployés par Vladimir Poutine près de l’Ukraine jusqu’à la mi-février, brandissant la menace d’une invasion de l’Ukraine, même si le Kremlin a toujours refusé cette affirmation. D'importantes tractations diplomatiques impliquant les États-Unis, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Ukraine et la Russie ont été menées. Mais sur le terrain, de nombreux bombardements, imputés par chaque camp à l'autre, renforcer la crainte d'une action militaire. L'annonce, le 21 février, par Vladimir Poutine, de la reconnaissance des territoires séparatistes pro-russes en Ukraine a ouvert la voie à une intervention militaire de la Russie chez son voisin, officiellement déclarée par le président russe le 24 février, une annonce suivie par l'envoi de plusieurs missiles et l'entrée des forces armées russes sur le sol ukrainien.
Quelle est l'origine de la guerre entre la Russie et l'Ukraine ?
La Russie et l’Ukraine ont un lien particulier. L’Ukraine était en effet l’une des entités constituant l’URSS, jusqu’à la dissolution de cette dernière en 1991 et la proclamation de l’indépendance ukrainienne. Cependant, l’Ukraine conserve des liens avec la Russie. En 2013, alors qu’un président pro-russe est en poste (Viktor Ianoukovytch), une révolution éclate dans le pays et chasse le chef de l’État. En répression, Vladimir Poutine annexe la Crimée, un territoire ukrainien. Dans le pays, pro et anti-russes s’affrontent. Des séparatistes ukrainiens favorables au pays voisin prennent alors le contrôle, avec le soutien de la Russien d'une partie la région du Dombass, bassin houiller composé des oblasts (l'équivalent des régions en France) de Donetsk et Lougansk (en rouge sur la carte).
Ils autoproclament alors la République populaire de Donetsk et celle de Lougansk sur environ un tiers de chaque oblast. Historiquement, ce sont des territoires dans lesquels la langue et la culture russe sont imprégnées. Il s'agit donc d'une sous-division de l'oblast de Donetsk et de Lougansk. La ligne de démarcation rouge sur la carte de l'OCSE marque la limite entre, à l'est, les séparatistes pro-russes et, à l'ouest, les territoires dirigés par le gouvernement ukrainien. A l'est, les RPD et la RPL sont séparées par leur frontière historique, en gris.
Après la guerre, les accords de Minsk sont signés en 2015 entre la Russie et l'Ukraine, sous la médiation de la France et l'Allemagne, censés acter un cessez-le-feu, jamais vraiment respecté. Si, depuis quelques années, le drapeau blanc était malgré tout agité, Vladimir Poutine a soudainement déployé des dizaines de milliers d’hommes à divers points de la frontière entre la Russie et l’Ukraine, à l’automne 2021. Une inquiétante manœuvre expliquée, notamment, par la volonté politique de Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine, d’intégrer l’OTAN. Ce qui, pour Vladimir Poutine, est "inacceptable". Le patron du Kremlin juge en effet que "la Russie a été dépouillée" avec l’indépendance de l’Ukraine. De là à vouloir mettre la main sur le pays ? Avec son feu vert pour l'invasion, cela semble être bel et bien le cas.
Source : l’Internaute.com – le 25/02/2022
SUITES POSSIBLES DE LA GUERRE EN UKRAINE : POURQUOI POUTINE POURRAIT TOUT PERDRE (AVEC EXTRAITS DES THEORIES DE CARL VON CLAUSEWITZ)
Il y a des militaires et des hommes politiques qui estiment que du moment où les forces armées, comparées à celles de l’ennemi, ont atteint un degré de faiblesse tel que toutes les ressources de l’art ne suffiront plus à raisonnablement prévoir une probabilité de succès, il est nécessaire d’arrêter la guerre. Ce principe serait conforme à la raison si la vue des choses n’y était bornée.
Clausewitz 1976 : 239
Deux raisons complémentaires justifient cette prise de position. Tout d’abord, Clausewitz estime que la déroute de l’armée conventionnelle n’empêche l’État ni de poursuivre le combat, ni d’espérer un retournement de situation. Il juge en effet que l’armée régulière n’est que l’une des trois composantes des forces dont dispose un État, les deux autres étant « le territoire avec son espace et sa population, et ses alliés » (Clausewitz 1955 : 57). Souvent perçu comme un théoricien de la seule guerre conventionnelle interétatique, Clausewitz fut aussi le penseur et l’avocat de l’armement du peuple comme modalité de défense nationale.
Pour Clausewitz, la levée en masse d’une partie de la population doit se faire à l’initiative de l’État et devait venir en complément, voire, dans les cas extrêmes, en substitution aux forces régulières. Clausewitz pense de fait que l’armement du peuple peut s’affirmer comme un « ultime et désespéré remède » (ibid. : 307), comme une « dernière ressource après une bataille perdue » (Clausewitz 1955 : 556), pour prolonger la lutte malgré la défaite de l’armée conventionnelle. Autrement dit, Clausewitz a théorisé le basculement vers des pratiques de guerres irrégulières après une défaite conventionnelle.
En complément de la population, Clausewitz souligne le rôle tant du territoire que des alliés. Sa référence au territoire est à lier à sa thèse d’une supériorité de la défensive sur l’offensive, qui découle entre autres de l’affaiblissement de l’assaillant sous ses propres efforts au fur et à mesure qu’il s’éloigne de ses bases. Cette situation laisse espérer un rééquilibrage progressif du rapport de forces, dont la campagne de Russie de 1812 constitue la meilleure démonstration. Clausewitz note ainsi que la Russie :
nous a appris […] que la probabilité du succès final ne diminue pas toujours dans la mesure où l’on perd des batailles, des capitales et des provinces (ce qui était jusque-là un principe intangible pour tous les diplomates et les poussait à accepter immédiatement quelque mauvaise paix temporaire). La Russie a prouvé, au contraire, qu’une nation est souvent la plus forte au cœur de son propre pays, lorsque la puissance offensive de l’ennemi s’est épuisée, et nous a montré quelle force énorme la défensive permet alors de remettre au service de l’offensive.
Clausewitz 1955 : 232
Quant aux alliés, leur participation (actuelle ou future) aux hostilités peut bien sûr contribuer à inverser la tendance et à sauver une situation qui semblait désespérée. Les exemples ne manquent pas – l’un des plus convaincants étant sans doute celui de la Seconde Guerre mondiale et de l’entrée en guerre américaine. Tous ces éléments démontraient aux yeux de Clausewitz que tout espoir ne devait pas nécessairement être brisé après une infortune militaire.
De plus, quand bien même la probabilité du succès final demeure faible, ce qui doit guider la réflexion des décideurs politiques selon Clausewitz reste avant tout l’enjeu de l’affrontement. Si une cause modeste ne mérite pas de continuer la lutte après une défaite, une grande cause justifie en revanche tous les sacrifices. Or, pour Clausewitz :
il n’est pas de but d’une importance plus grande que l’indépendance d’un État et d’une nation. C’est là le but qu’il est nécessaire de poursuivre jusque dans les périls extrêmes. […] il faut que la décision procède de la nécessité du salut et non de sa facilité.
Clausewitz 1976 : 240, 294
Cette dernière phrase démontre que, pour Clausewitz, ni la faible probabilité de succès ni la dégradation de la situation militaire de l’État ne sauraient à elles seules justifier le renoncement à la violence. Au contraire, la lutte contre l’envahisseur étranger légitime selon lui la poursuite des combats, quand bien même l’État se trouverait confronté à la déroute de ses forces armées, à la perte de larges parties de son territoire et à la prise de sa capitale. Le refus du renoncement constitue une véritable obsession clausewitzienne, dont témoigne bien la citation ci-dessous, qui rendait selon Raymond Aron un « son gaullien » (Aron 1995 : 99).
Aucun État ne doit admettre que son destin, c’est-à-dire son existence même, dépende d’une seule bataille, aussi décisive puisse-t-elle être. S’il a été battu, l’appel de forces fraîches et l’affaiblissement naturel que toute offensive entraîne à la longue peuvent produire un retour de fortune, ou bien l’aide peut venir de l’extérieur. Il est toujours temps de mourir et, de même que c’est par une impulsion naturelle que l’homme qui se noie se raccroche à un fétu de paille, il est dans l’ordre naturel du monde moral qu’un peuple utilise jusqu’aux derniers moyens de salut lorsqu’il est poussé aux bords de l’abîme. Si petit et faible que soit un État comparé à son ennemi, on peut dire qu’il aura perdu toute son âme s’il renonce à un dernier et suprême effort. […] tout gouvernement qui ne songera, après la perte d’une grande bataille, qu’à permettre rapidement au peuple de jouir des avantages de la paix, et, dominé par le sentiment de l’espoir déçu, ne trouve plus en lui le courage et le désir d’aiguillonner la moindre de ses forces, commet en tout cas par faiblesse une incohérence grossière ; il montre qu’il ne mérite pas la victoire, et que peut-être son attitude le rendait tout à fait incapable de l’emporter.
Clausewitz 1955 : 556-557
Source : Études Internationales - "L’impuissance de la victoire" comme symbole d’un changement dans la nature de la guerre ? Étude critique d’une contribution au paradigme des "nouvelles guerres" - (Extraits) – Le 16/04/2018
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