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Date : 12-10-2024 10:15:27
UNE HISTOIRE
J’ai marché dans le noir, sans cesse, m’arrêtant si peu, parfois
Longtemps, depuis je ne sais plus combien, comme une éternité
J’ai dû partir à l’aube, ou bien au crépuscule... C’était autrefois
Je n’étais pas né encore que je marchais déjà, voilà la vérité…
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
J’ai passé des frontières sans bien m’en rendre compte, vraiment
Franchi des rivières, des montagnes, des déserts tous semblables
Jusqu’à me perdre dans des tempêtes folles crées par un dément
Connu des soifs à ne plus savoir l’eau, des faims inoubliables…
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
Ne voulant rien savoir de ce qui m’entourait, perclus de douleur
Ne connaissant que la survie, voulant rien retenir des paysages
Des cieux, des mers, qu’importe que je raconte, triste bateleur
Un monastère lugubre isolait la femme sujet de mes mirages…
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
J’étais champ en friche, labouré ni semé, baptisé ma mémoire
La nuit si familière, mes yeux m’abandonnant , tel un aveugle
Mes oreilles assourdies par le silence, n’ayant pas d’histoire
A dire à personne, et retenant des cris de bœuf qui meugle…
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
Des saisons je ne connaissais rien, n’en vivant qu’une, l’hiver
L’hiver, la neige et puis le givre, des jours longs de brouillard
Le vent glacial, soufflant sans limites, moi nu comme un ver
Les dents claquant de froid, de peur, de fièvres de bagnard…
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
J’ai alors inventé ce que je ne voyais pas, par exemple le soleil
Aussi ce que je n’entendais jamais, tiens, le chant d’un oiseau
Il faut toujours remplir le vide, et moi qui cherchais le sommeil
Qui est un peu mourir, j’ai inventé la mort, comme ultime fléau,..
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
Voilà comment j’avais refait le monde, reproduit à mon image
J’ai choisi un mot pour me nommer: néant, et pour l’atteindre
Apeuré par mon œuvre, rendant au créateur un bel hommage
De cette horreur, oui, le Diable lui-même pouvait tout craindre…
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
Qu’eût-il été alors du reste du chemin, qu’eût-il été de l’homme
Qui vacillait, jusqu’à user les pierres du poids lourd de ses pas
Qui peut vouloir prendre un chemin si dur, de bête de somme
L’entreprenant jusqu’à la fin, se relevant sans fin de faux-pas…
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
Quelle histoire aurais-je raconté, à quel enfant, quelle femme
Quel animal même, puisqu’il n’existait rien que je sache, moi
Rien qui comptât jamais d’autre, de rencontre au programme
Même pas face à moi-même, ignorant la moindre lueur de foi…
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
Oui, le néant existe, ouvrez les dictionnaires, j’en suis l’auteur
Ou si ça n’est pas moi, c’est donc un frère, qui me ressemble
Mais je vis ce jour une belle histoire, je m’en ferai le narrateur
Puisque tu le demandes, que la fin de l’autre nous rassemble…
Je marchais, j’avançais, et jamais, jamais l’ombre se dissipait.
Cette histoire commencée en mille neuf cent quatre-vingt-sept
N’est pas, elle, inventée. Elle est vraie, et cette vérité vivante
J’ai vécu toute une vie bras en croix, comme l’est un transept.
Mais la nouvelle est une résurrection, puisqu’amant et amante
Nous avançons ensemble, délaissant l’ombre, vers la lumière.
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