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Date : 17-11-2023 20:08:06
Qu'est-ce que la littérature ?
Qu’est-ce que la littérature ? C’est la mise en marche de l’esprit humain. Qu’est-ce que la civilisation ? C’est la perpétuelle découverte que fait à chaque pas l’esprit humain en marche ; de là le mot Progrès. On peut dire que littérature et civilisation sont identiques.
Les peuples se mesurent à leur littérature. Une armée de deux millions d’hommes passe, une Iliade reste ; Xercès a l’armée, l’épopée lui manque, Xercès s’évanouit. La Grèce est petite par le territoire et grande par Eschyle. (Mouvement) Rome n’est qu’une ville ; mais par Tacite, Lucrèce, Virgile, Horace et Juvénal, cette ville emplit le monde. Si vous évoquez l’Espagne, Cervantes surgit ; si vous parlez de l’Italie, Dante se dresse ; si vous nommez l’Angleterre, Shakespeare apparaît. À de certains moments, la France se résume dans un génie, et le resplendissement de Paris se confond avec la clarté de Voltaire.
Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit.(...)
Ah ! la lumière ! la lumière toujours ! la lumière partout ! Le besoin de tout c’est la lumière. La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire. Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livres partout ; enseignez, montrez, démontrez ; multipliez les écoles ; les écoles sont les points lumineux de la civilisation.
Vous avez soin de vos villes, vous voulez être en sûreté dans vos demeures, vous êtes préoccupés de ce péril, laisser la rue obscure ; songez à ce péril plus grand encore, laisser obscur l’esprit humain. Les intelligences sont des routes ouvertes ; elles ont des allants et venants, elles ont des visiteurs, bien ou mal intentionnés, elles peuvent avoir des passants funestes ; une mauvaise pensée est identique à un voleur de nuit, l’âme a des malfaiteurs ; faites le jour partout ; ne laissez pas dans l’intelligence humaine de ces coins ténébreux où peut se blottir la superstition, où peut se cacher l’erreur, où peut s’embusquer le mensonge. L’ignorance est un crépuscule ; le mal y rôde. Songez à l’éclairage des rues, soit ; mais songez aussi, songez surtout, à l’éclairage des esprits.
Victor Hugo - Discours d'ouverture du Congrès Littéraire International - 7 juin 1878
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